mardi 22 décembre 2009

A ceux et celles qui veulent se battre pour la liberté

A ceux et celles qui veulent se battre pour la liberté
Contre la construction d'un nouveau centre fermé et tout ce qui cherche à nous imposer une vie pleine de frontières et de grillages

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Mai 2009. A Steenokkerzeel, les premiers travaux commencent sur le chantier de ce qui devrait devenir un nouveau centre fermé. Car l’Etat cherche à faire passer une immigration choisie ; une immigration adaptée aux besoins de l’économie. Et ceux qui ne rentrent pas dans les critères devront désormais être expulsés encore plus efficacement. Cette nouvelle prison (avec un régime de cellules individuelles) vise surtout à isoler ceux qui dirigent leur rage contre leurs matons (avec ou sans uniforme). Dans cette rage, nous voyons un point de reconnaissance et une invitation. En route pour une lutte contre ce nouveau centre fermé, contre toutes les frontières, contre toute autorité.

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PRENDRE SON ENVOL
Ou pourquoi nous n’abandonnerons pas le combat

Depuis quelques mois, à Zaventem, aux moteurs d’avions ronronnant viennent s’ajouter des engins de chantiers qui font de la poussière et du bruit. Car là, tout près du centre fermé 127bis, l’Etat construit avec l’aide de plusieurs entreprises en bâtiment, un nouveau centre de déportation. Outre son architecture extravagante, ce centre se distingue aussi sur d’autres plans des prisons pour sans-papiers existantes. Il servira par exemple à regrouper et enfermer les « cas dérangeants » avant de les déporter ; ceux qui ne se sont pas laissés jeter sans coup férir dans les bras de leur destin préprogrammé ; ceux qui seuls ou avec d’autres, au moins pour un instant, ont franchi la barrière de l’impossible – et se sont révoltés.

Le fait que l’Etat cherche ainsi à séparer les révoltés des autres sans-papiers, n’est qu’une des nombreuses « recettes » qu’il applique pour faire taire les « inadaptés » tout en réaffirmant les normes et hiérarchies. Il y a longtemps déjà qu’on nous apprend à interpréter le monde dans les termes du pouvoir. On nous a inculqué le nom et le sens des choses. Et plus on nous les a répétés, moins nous avons pensé à les remettre en question. Mais nous sommes désormais fatigués de tout ça. Fatigués de ce qu’on appelle obligations, comme le travail ou l’école. Fatigués de nous perdre dans des relations trop souvent maintenues par habitude. Nous en avons marre d’être pressés par la recherche constante d’argent et par la peur de le perdre. D’être enfermés dans une réalité qui colle des étiquettes sur les gens, les oblige à montrer leurs papiers, les pousse à s’identifier avec une nation ou une religion, les enferme dans une identité ( « homme » ou « femme », « jeunes-qui-traînent », « profiteurs » ...). Une réalité où on fout les gens de côté s’ils sont différents, s’ils sont trop tristes, trop vieux, trop joyeux, s’ils transgressent la loi ou qu’ils refusent simplement d’accepter tout ça. Et plus ils nous font croire que ceci serait la vie, que tout ceci est normal, est à nous, ou qu’il n’existe de toute façon pas d’issue et qu’il est trop tard, plus nous oublions qu’un jour nous avons peut-être voulu être libre. Qu’il existe d’autres possibilités et que les attentes de la vie ne devraient connaître ni frontières, ni limites.

Mais il y aura toujours des individus qui ne se laissent pas submerger par l’abattement. Ceux qui savent que cette société, l’Etat, ses politiciens et ses représentants seront toujours des obstacles pour eux et leurs désirs. Voilà pourquoi la démolition de tous les murs érigés et protégés entre nous, est la seule perspective. Pourquoi il nous faut refuser de remettre notre vie et nos décisions dans les mains d’autres. Voilà pourquoi nous ne nous battons pas seulement pour un monde sans centres fermés, sans papiers et sans frontières, mais nous considérons cela comme faisant partie d’une lutte pour une vie où personne ne donne d’ordres et personne n’y obéisse. Où il n’y aurait plus de normes suffocantes et où nous pourrions donner du sens à notre vie avec nos propres idées. Nous voulons être libres, en sachant que tout est possible. Voilà pourquoi nous nous battons.

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ETRANGERS DE PARTOUT

L’ennemi aux frontières

Chaque année, des dizaines de milliers de réfugiés franchissent les frontières européennes. Beaucoup laissent aussi la vie en tentant de passer. Ainsi, la mer Méditerranée s’est transformée en fosse commune de boat people, tandis que la police et les trafiquants d’êtres humains dépouillent d’autres errants avant de les larguer dans le Sahara. Et quand des réfugiés finissent par poser le pied sur le sol européen, c’est une vie dans l’ombre qui attend la plupart d’entre eux. Ils amènent avec eux des histoires de guerre, de famine, de destruction de leur environnement, de persécution, de haine religieuse ou nationaliste.

Nombreux sont ceux qui, ici, ont peur de ces réfugiés : ils seraient « différents », ils parlent une autre langue ou ont d’autres habitudes. Mais peut-être les gens d’ici ont-ils surtout peur, parce que les histoires de misère qu’amènent ces réfugiés pourraient leur rappeler quelque chose. Ces histoires leur tendent un miroir dans lequel ils n’osent pas regarder, parce que la misère les guette aussi. Au lieu de voir en face les causes de cette misère, beaucoup de gens construisent une image d’ennemi à propos des immigrés « qui viennent nous piquer notre boulot et sont des profiteurs » - ce qui fait perdre de vue le véritable ennemi.

Partout dans le monde, les riches deviennent plus riches et les pauvres plus pauvres. Ces rapports capitalistes, cette économie qui réduit tout et tout le monde à des marchandises, rendent cette planète toujours plus invivable. Invivable parce que des centaines de millions de personnes vivent dans une pauvreté désolante. Invivable parce que des centaines de millions de personnes sont prêtes à s’entretuer pour un morceau de pain, pour un dogme religieux, une croyance à la Nation ou... pour un nouveau portable. Invivable parce que l’eau est contaminée par les activités industrielles, parce que ce que nous mangeons est cancérigène, parce que les endroits où nous vivons sont remodelés en fonction de l’économie et du contrôle. Ne mâchons pas nos mots: ces situations invivables pousseront toujours plus de gens à s’enfuir.

Et les îlots des « démocraties occidentales » renforcent donc leurs frontières. Des milliers de kilomètres de fils barbelés, des miradors, des gardes-frontières et des systèmes de détection comme à l’Est de l’Europe et en Grèce doivent protéger l’espace Schengen contre la misère du monde. Avec l’appui logistique et financier des Etats européens, des pays comme la Tunisie, le Maroc et la Libye construisent des camps de concentration pour enfermer les refugiés, avant même qu’ils n’arrivent aux côtes de l’Europe sur des bateaux branlants.


L’ennemi à l’intérieur

Mais l’Etat ne se renforce pas seulement contre les « ennemis extérieurs ». Pour protéger les intérêts des riches et des puissants, il doit s’assurer que les exploités, les pauvres continuent à accepter l’ordre existant. Au cours de la lutte des classes et parce que pour contrôler, la carotte marche parfois aussi bien que le bâton, les Etats occidentaux ont développé un aspect social, essayant de nous vendre la fable du médiateur entre les riches et les pauvres. Avec l’aide des syndicats et des partis, ils ont fait en sorte que ceux qui avaient tout à gagner à un bouleversement total restent finalement dans le rang.

Mais cette époque est peu à peu en train de rendre le dernier soupir. Tandis que la lutte sociale s’affaiblit, l’Etat prépare la fin de la social-démocratie, la fin du « temps des cadeaux ». Car les profits doivent continuer à augmenter et ceci n’est possible qu’au détriment des pauvres. Petit à petit, les acquis sociaux sont abolis, la chasse aux chômeurs s’intensifie, les filets de sauvetage sont liquidés, la concurrence sur le marché du travail (la concurrence entre les travailleurs eux-mêmes) est accrue par une flexibilisation toujours plus poussée de l’économie et des contrats de travail. Et au cas où tout le monde ne serait pas d’accord, il y a l’extension générale du contrôle social avec des quartiers entiers sous vidéosurveillance, avec toute une série de nouveaux services de contrôle et de police et l’utilisation de moyens de surveillance et répressifs toujours
plus sophistiqués.

Il est sûr que la pauvreté s’étendra, que le nombre de pauvres augmentera, et pas seulement dans des contrées qui nous paraissent bien lointaines, mais ici aussi. Ils disent que « la barque est pleine » et en fait ils veulent dire qu’« il faut jeter des gens par-dessus bord ».


Tous pauvres, mais tous différents ?

L’Etat fait donc tout pour convaincre les gens que ce seront d’autres (au moins, avant eux) qui passeront par-dessus bord. Et cette illusion apaise maintes personnes. Sur la base de documents d’identité et de cartes de séjours, l’Etat applique une hiérarchie sociale entre les pauvres. Il crée toute une série de niveaux intermédiaires avec différents statuts accordés selon les besoins de l’économie (dépendant de contrats de travail, du manque de main d’oeuvre dans certains secteurs, etc). La régularisation récente, obtenue après des années de protestations de sans-papiers et d’autres, rentre entièrement dans ce cadre et est donc loin d’être une « victoire ». Certaines catégories de sans-papiers seront régularisées sur critères … avec pour conséquence implicite et inévitable que tous les autres devront ficher le camp. Voilà comment l’Etat répond à ceux qui prétendent résister tout en continuant à déléguer à un pouvoir qui les dépasse le fait de résoudre leurs problèmes. Tant que celles et ceux qui veulent lutter contre l’état actuel des choses continueront à aller sur ce terrain par excellence de la politique, à négocier et à dealer avec l’Etat, à parler la langue de l’ennemi et à se fier à la fameuse représentation politique (au parlement par les partis, dans la rue par les syndicats), ils n’obtiendront que de la poudre aux yeux. Une lutte qui s’oppose à la hiérarchie entre les pauvres et qui s’attaque aux frontières, ne peut donc que s’opposer à toute politique, à toute forme de gestion de la population.

Tandis que la pauvreté touche toujours plus de gens, la glace de la paix sociale commence à se fissurer. Certains ne se satisfont plus d’être le pigeon toute leur vie, de mener une existence privée de sens en fonction d’une économie qui « rapporte » toujours moins et d’un Etat qui place sous contrôle tout et toujours plus. Des révoltes éclatent ici et là et des coups sont rendus (comme lors des émeutes dans différents quartiers bruxellois, lors des quelques grèves sauvages dans les entreprises, lors des nombreuses mutineries dans les prisons et les centres fermés ces dernières années, comme avec la hausse impressionnante du vol à l’étalage cette année..). Cependant, toutes sortes d’idéologies autoritaires (à base de nationalisme, de fondamentalisme, de racisme,…) tentent de faire leur beurre de cette situation de mécontentement social. Ces idéologies offrent une alternative aussi autoritaire et opprimante que le monde tel que nous le vivons aujourd’hui. Face au spectre d’une guerre de tous contre tous, nous voulons la guerre sociale des exploités contre tous les exploiteurs, des opprimés contre tous les oppresseurs. Parce que payer un loyer à un propriétaire « belge » ou « immigré », se faire menotter par un flic catholique ou musulman, travailler pour un patron blanc ou noir ne changera rien à la misère dans laquelle nous vivons.

Une autre manière qu’utilise l’Etat pour diviser, consiste à présenter chaque question sociale, chaque problème et chaque lutte comme séparés les uns des autres et pouvant donc être résolus sans toucher aux fondements. L’Etat a tout intérêt à ce que la lutte contre les centres fermés glisse vers une revendication de régularisation de sans-papiers, tandis que la migration, justement, n’est pas le libre choix de voyager, mais un mouvement forcé, provoqué par les besoins de l’économie, les guerres entre Etats et groupes de population… Les centres fermés ne sont donc pas une aberration honteuse, mais font intégralement partie des rapports autoritaires et capitalistes qui dominent ce monde. Les soi-disant « centres ouverts » en disent longue sur cela : l’Etat concentre les demandeurs d’asile dans de véritables camps en attendant le résultat de leur demande d’asile. Ainsi il les tient séparés du reste de la population et facilite la sélection de ceux à garder et de ceux à jeter. Les gens donc sont toujours plus enfermés pour ce qu’ils sont et moins parce qu’ils auraient commis tel ou tel délit. Et pour chaque catégorie, il y a une prison spécifique : les centres fermés pour illégaux, les prisons pour les pauvres, les « centres ouverts » pour les demandeurs d’asile,… Refusons donc dans la lutte les séparations entre les différentes formes d’enfermement que l’Etat essaye de nous fourrer dans la tête.

La question des centres fermés, des déportations et des permis de séjour ne concerne donc pas que les sans-papiers. La concentration de sans-papiers dans les centres fermés et ouverts n’est qu’un pas dans la guerre croissante contre tous les pauvres, peu importe leur origine, peu importe leur couleur de peau.


Un nouveau centre fermé

En mai 2009, l’Etat a lancé la construction d’un nouveau centre fermé à Steenokkerzeel. D’un côté, ceci est une réponse claire aux multiples révoltes, mutineries et évasions qui ont eu lieu ces dernières années dans les centres fermés. Cela rappelle la manière dont il a réagi aux mutineries dans les prisons belges il y a trois ans: en construisant de nouvelles prisons, plus modernes et mieux sécurisées et en ouvrant deux modules d’isolement pour les « prisonniers rebelles ». Le nouveau centre servira aussi à enfermer les « récalcitrants ». Ils vont y appliquer un système de cellules individuelles et de cachots pour tenter d’écraser toute forme de rébellion.

D’un autre côté, l’Etat veut aussi accroître le rendement de sa machine à expulser en créant une plus grande capacité d’enfermement. En même temps qu’il régularise une partie des sans-papiers, il se facilite la tâche pour expulser ceux qui ne rentrent pas dans les critères. Tout comme les autres Etats européens, la Belgique veut aller vers une « immigration choisie » avec des permis de séjour entièrement adaptés aux besoins de l’économie. Exactement comme nous tous, les immigrés ne sont, aux yeux des patrons et des politiciens, que des matières premières qui peuvent être utilisées, négociées ou jetées à la poubelle. La seule différence, c’est qu’ils le font toujours plus ouvertement.

* * *

ET ALORS, MAINTENANT QUOI ?

Nous voulons être libres.
Parvenus à la conclusion qu’aucun gouvernement n’aura jamais rien à voir avec la liberté, il nous reste deux choix. Aller nous coucher, résignés au fait que rien n’a de sens et que nous sommes condamnés à vivre comme des morts. Ou sauter, dans l’inconnu, sans avoir toutes les réponses en poche mais poussés par des désirs qui n’acceptent plus de mensonges.
En route vers quelque chose qui est à nous…

Avant tout, nous voulons en finir avec l’idée que nous sommes coincés dans nos possibilités d’agir contre la misère qui nous entoure. Parce que nous n’aurions aucune prise sur la manière dont le monde est fait, parce que tout se déroulerait bien au-dessus de nos têtes.
Ce sentiment habituel d’impuissance qui peut nous paralyser quand nous commettons l’erreur de concevoir le système qui essaye de nous enfermer comme le produit d’un cerveau diabolique omnipotent, qui nous transforme en pions inertes.
Ce sentiment, nous voulons le laisser derrière nous une fois pour toutes.
Tout change quand nous osons regarder la réalité en face et que nous trouvons le courage de nous concevoir nous et les autres comme des individus qui font des choix. Parce qu’alors il devient clair que cette tragicomédie n’aura pas de fin tant que les acteurs continueront à jouer leur rôle.
Rien ne se perpétue de soi-même. Même une chose aussi monstrueuse que la machine à déporter ne peut pas continuer à tourner toute seule.

Sous notre nez, les politiciens décident de construire et de financer des centres fermés. Des entreprises comme Besix, Valens et ISS Cleaning font un paquet d’argent avec leur construction et leur maintenance. Les directeurs et les matons des centres, mais aussi les assistants sociaux et les docteurs qui y travaillent, peu importe leurs bonnes volontés, choisissent de se consacrer au bon fonctionnement de ces prisons, au lieu de les remettre en question fondamentalement. Les compagnies aériennes assurent les déportations. Les soi-disant « centres ouverts », gérés par la Croix Rouge et Fedasil, essayent de contrôler les allers et venues des sans-papiers et collaborent étroitement avec l’Office des Etrangers et les centres fermés.
Si nous regardons plus loin que le bout de notre nez, nous voyons que les engrenages de la machine sont nombreux. Des organisations caritatives comme Caritas International promeuvent le « retour volontaire » et donnent des primes quand les sans-papiers acceptent de se casser. Les avocats les dupent, leur extorquent plein d’argent en leur faisant de fausses promesses. Les flics font des rafles, par exemple dans les transports publics avec l’accord des entreprises STIB et De Lijn, voire leur collaboration active lors des contrôles de titres de transport qui permettent aussi d’arrêter des sans-papiers. De même, les inspections du travail écument les cafés, les magasins de nuit et les chantiers, main dans la main avec l’Office des Etrangers. Dans les maisons communales, des bureaucrates remettent permis de séjour et cartes de travail et constituent des bases de données relatives aux demandeurs d’asile. Les marchands de sommeil, qui ne savent que trop bien dans quelle situation précaire se trouvent les locataires sans papiers, en profitent pour leur soutirer encore plus de fric. Finalement, il y a aussi ces bons citoyens qui n’hésitent pas à dénoncer quand ils en ont l’opportunité.

Et alors, maintenant quoi ? Nous pouvons briser le silence du consentement…
Les choix ont des conséquences ! Si nous voulons lutter contre la machine à déporter, il ne suffit pas de juste savoir qui y collabore… Il faut en faire quelque chose. Nous pouvons rendre visite à ceux qui refusent d’assumer leurs responsabilités, les harceler et leur rendre la tâche difficile. Nous pouvons repeindre leurs murs, saboter leur bordel et détruire leurs infrastructures.
Tout ceci pourrait dégager de la force si, en chemin, nous réussissons à ne pas oublier que la machine à déporter n’est pas quelque chose de séparée. Qu’une société basée sur l’autorité, le travail et l’exploitation aura toujours besoin de prisons et de centres fermés, aura toujours besoin d’enfermer et d’opprimer. Et la lutte que nous portons dans nos coeurs, c’est une lutte contre toute forme d’oppression. Donc, crions-le bien fort : il ne s’agit pas des aberrations d’un système, mais de tout, de toute la vie, de nous tous ! Et portons ceci avec nous, à chaque pas que nous faisons contre la machine à déporter et tout ce qui nous empêche d’êtres libres. Développons une solidarité avec ceux qui, à partir d’un même désir de liberté, choisissent d’attaquer ce qui les maintient enfermés ; une solidarité capable de briser l’isolement qui tend à éteindre toute tentative de nous réapproprier nos vies. Une solidarité qui peut s’exprimer de tant de manières. Entraidons-nous quand il le faut, défendons nos idées et partageons nos révoltes.
Partageons une lutte…

Des anarchistes
[Textes parus dans un quatre-pages en français et en néerlandais]

Non au nouveau centre fermé!

NON AU NOUVEAU CENTRE FERME !
NI A STEENOKKERZEEL, NI AILLEURS !

La construction d’un nouveau centre fermé a commencé à Steenokkerzeel. Il viendra s’ajouter aux quatre centres fermés déjà existants, à la quarantaine de prisons et aux nombreux centres ouverts gérés par Fedasil et la Croix-Rouge. L’Etat belge complète ainsi son infrastructure, cherchant du même coup à raffiner le fonctionnement de la machine à expulser.

Sous couvert d’humanité, une immigration de plus en plus choisie est en voie de légalisation, laissant au reste des indésirables le circuit du travail au noir, tout aussi nécessaire au bon fonctionnement de l’économie. Avec ou sans papiers on se fera exploiter par un patron ‘belge’ ou ‘immigré’, tandis que les divers nationalismes et religions feront tout pour nous séparer, garantissant ainsi l’avenir radieux de ce monde de merde.

Pourtant, si l’on voit les révoltes qui éclatent depuis des années aussi bien dans les centres fermés que dans les prisons, dans la rue et les aéroports, force est de constater que la machine n’est pas si bien huilée que ça. Face à l’enfermement et à des conditions de vie qui s’apparentent souvent cruellement à celles qu’ils ont fui, de plus en plus d’indésirables prennent le chemin de la révolte.

Ainsi se sont succédées mutineries, évasions, attaques contre la police suite à des contrôles, représailles contre divers collaborateurs : ISS-Cleaning, la STIB ou encore la Banque de la Poste. Qui ne se souvient pas par exemple du beau feu de joie de l’été passé ? Le 127bis était presque entièrement parti en fumée. Et c’est justement là, à Steenokkerzeel, que l’Etat a choisi de construire son nouveau centre fermé spécialement conçu pour les récalcitrants.

L’Etat entretient un silence pesant autour de la construction de ce nouveau camp de concentration. Et pourtant les constructeurs de cette infamie – Besix, Valens, Michiels H. NV., etc. – y mettent les bouchées doubles. Alors n’attendons pas qu’il soit trop tard.

SABOTONS LA MACHINE A EXPULSER !
DETRUISONS TOUTES LES FRONTIERES !

mercredi 23 septembre 2009

Un aller-simple pour le (nouveau) centre fermé


Texte d'un tract distribué dans les métros et trams bruxellois depuis quelques jours (mi-septembre) et appelant à s'organiser face à la construction du nouveau centre fermé.


Un aller-simple pour le (nouveau) centre fermé.


Un tram ou une rame de métro à l’heure de pointe. Dernière escale d’une longue journée de travail ou de présence à l’école. L’écoeurante odeur de parfum se mêle à celle de la transpiration tandis que se mène l’inévitable combat au corps à corps pour conquérir la place du repos du guerrier. Règne le sentiment d’une vie bien réglée qu’on ne pense même plus pouvoir changer.


Encore quelques arrêts et le transport de biens touchera à sa fin. Les portes s’ouvrent dans un bruit de soulagement et chacun reprend son « propre » chemin : une masse fluide envahit les escalators et les couloirs venteux. Juste avant la frontière imaginaire de la zone sous contrôle, elle se heurte à un régiment entier de contrôleurs, quand ce n’est pas à une rafle organisée. Chacun réagit à sa manière : les bons élèves se précipitent tickets à la main pour être contrôlés, mais tout le monde n’est pas prêt à subir cette humiliante inspection sanitaire. Ici, un refus en règle ; là une personne tente de rebrousser chemin, à contre courant du bon déroulement des choses. Et pour d’autres c’est le contrôle en bonne et due forme, non seulement imposé par la STIB, mais aussi rendu possible par l’acceptation des « passants irréprochables » qui détournent les yeux et finissent par trouver ça normal. Encore une fois c’est le chacun pour soi qui l’emporte, là où la solidarité pourrait porter ses fruits.


Pas de ticket, donc contrôle d’identité. Pas de papiers, donc… transfert direct vers le flic de service. A partir de là, le nombre d’arrêts pour la destination finale se succèdent à grande vitesse : commissariat et, pour la plupart, centre fermé en attente d’une expulsion. Le lien entre un « simple contrôle » et les camps de déportation est toujours plus évident, notamment grâce à la bonne participation des sociétés de transports publics - STIB, TEC et De Lijn - qui perfectionnent sans cesse leurs systèmes de contrôles (caméras, contrôleurs armés, carte à puce mobib, portiques,...).


Mais cette dernière escale n’est pas toujours reçue comme une fatalité. Parmi bien d’autres révoltes collectives et individuelles, le 24 août 2008, des détenus du centre fermé pour étrangers de Steenokkerzeel ont bouté le feu à cette prison. Le feu de joie a dévasté deux des trois ailes du camp.


Pour empêcher de telles explosions de révoltes dans le futur, l’Etat belge a lancé, en mai 2009, la construction d’un nouveau centre fermé à deux pas de l’aéroport de Zaventem. Contrairement aux autres centres fermés, celui-ci sera basé sur un régime de cellules individuelles. Ce camp de déportation sera alors la place par excellence pour enfermer les détenus rebelles et récalcitrants et pour toucher en plein vol chaque expression de révolte. Révolte qui reste pourtant la seule issue possible, tant à l’intérieur des prisons que dans la rue …


IL EST POSSIBLE DE S’ATTAQUER À CE NOUVEAU CHANTIER ET A L’ENSEMBLE DU SYSTEME QUI A BESOIN D’ECRASER DES GENS POUR SE MAINTENIR.


PERTURBONS DES MAINTENANT BESIX, LA STIB, LA POSTE, SODEXHO, DALKIA ET L’ENSEMBLE DES INSTITUTIONS ET DES STRUCTURES1 QUI COLLABORENT A CETTE POLITIQUE. SABOTONS LA CONSTRUCTION DU NOUVEAU CENTRE FERME.


(1) Pour une liste plus complète : blackliststeenokkerzeel.blogspot.com

[Repris de http://www.cemab.be/news/2009/09/7647.php où on peut télécharger le tract en PDF]

mardi 15 septembre 2009

Toucher au coeur - à propos des rackets sur les immigrés

Les luttes autour de la question de l’immigration, qu’il s’agisse de celles de sans-papiers pour leur régularisation, de celles autour du logement dans les quartiers pauvres, contre les rafles dans les rues et les transports ou contre les centres de rétention ont vu ces dix dernières années la participation de nombreux compagnons dans différents pays. Elles conduisent souvent à une répétition d’impasses ou à une impuissance en terme d’interventions possibles.

S’il n’existe pas de recette, il nous semble pourtant indispensable de briser certains mécanismes militants qui nous ont trop souvent amenés à lutter sur des bases activistes sans perspectives ou bien au contraire à bouger à la remorque de groupes autoritaires, avec ou sans papiers.Ces quelques réflexions se veulent simplement un bilan d’expériences de luttes et quelques pistes pour développer une projectualité subversive qui nous soit propre, autour des migrations etcontre leur gestion.

Au-delà des illusions sur « l’immigré »

Une façon classique de tenter de comprendre le contexte d’un conflit social afin d’y intervenir est de scruter à la loupe ses protagonistes et de les soumettre à des analyses sociologiques plus ou moins militantes. Outre qu’elles reviennent d’avantage à creuser ce mystérieux «qui sont-ils ?» qu’à nous interroger sur ce que nous voulons, ces analyses sont souvent biaisées par quelques dogmes qui troublent toute réflexion critique.

Si les habituels racketteurs gauchistes recherchent désespérément n’importe quel sujet politique à même de les porter à la tête d’une contestation, beaucoup d’autres s’engagent sincèrement aux côtés des sans-papiers. Mais parce qu’ils considèrent leur situation particulière comme extérieure, ils sont souvent plus portés par une indignation que par le désir de lutter avec ceux qui partagent une condition qui, si elle n’est pas totalement similaire, reste commune : l’exploitation, le contrôle policier dans la rue ou les transports, les conditions de logement dans les mêmes quartiers en voie de restructuration ou en périphérie, ou encore des illégalismes propres aux techniques de survie. Les uns comme les autres finissent alors bien souvent par reproduire toutes les séparations fonctionnelles à la domination. En recréant une figure générique de l’immigré-victime-en-lutte qui aurait ses qualités particulières, ils introduisent en effet une mystification sociologique qui non seulement finit par empêcher toute lutte commune, mais renforce encore l’emprise de l’Etat sur chacun d’entre nous.

Bien souvent, les activistes libertaires ou radicaux, pourtant mus par quelque intuition de ce qui pourrait devenir un parcours commun, ne sont pas les derniers à avaler à leur tour cette pilule au nom de leur envie de collectif ou de l’autonomie des luttes, comme si cette dernière était menée par un bloc homogène et non plus par des individus, complices potentiels, au moins face à une oppression particulière. Des méthodes de lutte (l’auto-organisation, le refus des médiations institutionnelles, l’action directe) deviennent alors soudain beaucoup plus relatives lorsqu’il s’agit de sans-papiers. Reprenant quelques classiques de la diatribe militante, il y a toujours un bon samaritain pour expliquer que fracasser la vitrine d’une compagnie aérienne d’expulseurs dans une manif de sans-papiers les mettrait «en danger», eux qui pourtant bravent quotidiennement la flicaille ; que le combat contre les fascistes (comme des membres des Loups Gris turcs), les nationalistes (comme certains réfugiés qui arrivaient lors du déchirement de l’ex-Yougoslavie) ou les curetons (de celui qui «accueille» les sans-papiers dans «son» église avant de les en expulser, aux associations chrétiennes chargées des basses œuvres de l’Etat comme la Cimade, Caritas International ou la Croix Rouge) s’arrêterait à la porte des collectifs de sans-papiers ; qu’on peut cracher à la gueule d’un ambassadeur français ou belge mais pas à celle d’un ambassadeur malien lorsqu’il vient médier une lutte qui menace de se radicaliser (idem pour tous les politiciens de gauche, généralement non grata, mais tolérés cette fois au nom de la fausse unité demandée par quelque leader de collectif de sans-papiers).

Si chacun sait qu’une lutte part toujours de l’existant et que les différences initiales y sont souvent importantes (prenons simplement le rapport aux syndicats dans la plupart des luttes liées à l’exploitation), la question pour nous est justement celle de leur dépassement dans une dynamique subversive, et ce n’est certainement pas en acceptant les divers carcans autoritaires qu’on pourra le faire, la fin étant déjà contenue dans les moyens qu’on se donne. D’autant que ce relativisme ne conduit pas à une confrontation à l’intérieur de la lutte, mais à une sorte de colonialisme à rebours, à réifier une fois encore les immigrés dans une altérité supposée («ils» seraient comme ça). La misère servant cette fois non pas de repoussoir mais d’excuse à tous les renoncements.

L’une des figures les plus marquantes de ce réductionnisme idéologique est ainsi celle de l’ «immigré innocent», l’éternelle victime passive, exploitée, raflée, enfermée puis déportée. En réaction à une propagande raciste quotidienne qui vise à faire endosser aux immigrés le rôle d’un ennemi social coupable de tous les maux (du chômage à l’insécurité en passant par le terrorisme), beaucoup finissent de fait par leur nier toute capacité criminelle. On les voudrait tous dociles, en train de mendier leur intégration en vue d’une place un peu moins abjecte dans la communauté du capital. Ainsi, les milliers de réfugiés sont transformés en victimes bienveillantes, et donc intégrables : victimes de guerre, de catastrophes «naturelles» et de la misère, de trafiquants d’êtres humains et de marchands de sommeil. C’est pourtant oublier que ces parcours transforment aussi les individus, créant des solidarités, des résistances et des luttes qui permettent à certains de rompre la passivité à laquelle ils sont assignés.Quand il arrive ainsi que ces « innocents » se défendent bec et ongles contre le destin qui leur est imposé ici (révoltes dans les centres fermés, affrontements lors de rafles, grèves sauvages…), c’est alors la stupéfaction et le silence gêné qui règne dans le camp de la gauche et de son antiracisme démocratique. Quand cette révolte s’exprime de manière collective, il y en aura peut-être encore pour « comprendre ces gestes de désespoir », mais quand un prisonnier boutera tout seul le feu à sa cellule, on parlera alors d’un « fou » et ça ne fera surtout pas partie de la « lutte ». On veut bien des grévistes de la faim dans une église, pas des incendiaires ou des évadés de centres fermés, on comprend des défenestrés ou des noyés, pas des raflés qui résistent à la police, on aide volontiers des parents d’enfants scolarisés, pas des voleurs célibataires. Car la révolte et les individus qui se rebellent n’entrent plus dans ce cadre sociologique de l’immigré-victime construit par la bonne conscience militante avec l’appui des parasites d’Etat universitaires.
Cette mystification empêche une compréhension plus précise de la migration et des flux migratoires. Il est clair que ces migrations sont d’abord une conséquence de la terreur économique ordinaire qu’exerce le capital et de la terreur politique des régimes en place et leur bourgeoisie locale, au plus grand bénéfice des pays riches. Cependant, il serait faux de prétendre que des prolétaires pauvres se déplaceraient vers les pays les plus riches, comme le serinent à leur tour les chœurs tiers-mondistes pour construire leur sujet de l’immigré-victime. Les migrants qui parviennent à franchir clandestinement les portes de l’Europe ne sont en effet pas forcément les plus pauvres (contraints, eux, à des migrations internes vers les villes ou vers des pays voisins au gré des fluctuations du marché et de ses désastres), rien que par le coût (pécuniaire et humain) d’un tel voyage ou la sélection culturelle et sociale au sein d’une famille de ceux/celles qui peuvent entreprendre la démarche.

Ainsi, si on cherche à comprendre tout ce qui constitue et traverse chaque individu plutôt que de figer la différence et l’altérité afin de justifier une position extérieure de «soutien», on peut découvrir toute une complexité et des rapports de classe, constatant que les collectifs de sans-papiers sont aussi composés de surdiplômés universitaires, de politiciens ratés, d’exploiteurs locaux qui ont récolté l’argent sur le dos des autres… et migrent vers cette partie du monde pour prendre la place dont ils peuvent bénéficier dans le capitalisme démocratique. Beaucoup de groupes de sans-papiers sont ainsi dominés par ceux qui détenaient déjà du pouvoir (social, politique, symbolique) ou y aspiraient. Cette différence de classe est rarement prise en compte par les compagnons qui s’engagent dans une lutte avec des sans-papiers, la langue constituant une barrière aussi infranchissable qu’elle est invisible, propulsant automatiquement les immigrés issus des classes les plus aisées dans leurs pays d’origine dans le rôle de porte-parole/interprète. Aiguiser ces contradictions de classe, à l’intérieur des regroupements de sans-papiers comme partout, est non seulement une contribution que peuvent apporter des compagnons, mais aussi l’une des conditions indispensable pour développer une solidarité réelle.

Pour comprendre ces dynamiques de lutte, il est également nécessaire de jeter à la poubelle quelques confortables illusions. Seul un déterminisme acharné pourrait en effet prétendre qu’une certaine condition sociale implique nécessairement la révolte contre celle-ci. Ce type de raisonnement offrait certes la certitude d’une révolution, certitude qui a longtemps tenu au cœur de beaucoup, tout en écartant comme aventuriste la perspective de rébellions individuelles se généralisant vers l’insurrection. La critique d’un déterminisme qui a montré sa faillite dans le vieux mouvement ouvrier vaut cependant aussi pour les prolétaires qui migrent de ce côté là du monde. Pour beaucoup d’entre eux, l’Occident est perçu comme un oasis où on peut bien vivre, tant qu’on est prêt à fournir de gros efforts. Subir des conditions d’exploitation qui ressemblent à celles qu’on a fuies, avec des patrons qui savent aussi parfois user de la fibre paternaliste de l’appartenance à une même communauté supposée, être traqué, n’avoir pas ou peu de perspectives de monter dans l’échelle sociale et vivre un racisme latent qui tente de canaliser le mécontentement des autres exploités, est une confrontation avec la réalité qui n’en est que plus rude. Face à la résignation qui peut naître de cette confrontation douloureuse, ou face à l’enfermement dans des communautés autoritaires basées par exemple sur la religion ou le nationalisme, la perspective reste alors de se lier non pas avec tous les sans-papiers de façon générique, mais avec celles et ceux qui, refusant de se conformer à leur destin d’exploité, ouvrent aussi le chemin vers l’identification de l’ennemi. Afin qu’au jeu de dupes entre l’universalisme capitaliste et les particularismes s’oppose une guerre sociale où on pourrait se reconnaître entre soi, au-delà de la question des papiers et des différents degrés d’exploitation, dans une lutte continue vers une société sans maîtres ni esclaves. Comme dans n’importe quelle autre lutte, en somme, si celle-ci n’était pas plus souvent qu’à son tour biaisée par le poids de l’affectif culpabilisant, par l’urgence d’éviter une expulsion et ses conséquences possibles et, surtout, par un rapport qui se construit souvent sur la base de l’extériorité et non pas de la révolte partagée.

L’impasse des luttes pour la régularisation

On se souvient que le tournant du nouveau siècle a été marqué par des vagues de régularisations «massives» provisoires dans plusieurs pays européens (1). Si l’Etat suit toujours ses propres logiques, les sans papiers ont pu, par leur lutte, se frayer un passage et influencer les critères de régularisation ou accélérer leur rythme. On avait assisté au même phénomène pour des «grandes lois sociales», certaines ayant été acquises au prix du sang, d’autres pour acheter la paix sociale ou tout bonnement octroyées en fonction des besoins du capital, pour fixer la main d’œuvre et augmenter la consommation intérieure. Le débat avait alors aussi fait rage au sein de la classe ouvrière entre des revendications qui accompagnaient ou devançaient le mouvement du capital d’un côté, et les tentatives insurrectionnelles d’un autre. Nombre de révolutionnaires n’acceptaient alors ces revendications que dans un but d’agitation permanente tout en posant que la question sociale ne pourrait pas être résolue dans le cadre capitaliste.Avant ces vagues de régularisation, les Etats étaient en fait partagés entre deux logiques contradictoires : d’une part l’afflux plus important d’immigrés en situation irrégulière répondait à un besoin réel de main d’œuvre flexible (bâtiment, restauration, nettoyage, agriculture, hôtellerie, domesticité) dans des économies à la population vieillissante, d’autre part cette population en partie méconnue (dans les pays d’immigration récente comme l’Espagne et l’Italie), mais surtout par nature beaucoup moins gérable, entravait la volonté drastique de gestion de l’ordre public. Si ce point a été rapidement traité, notamment par une collaboration plus étroite entre les diverses autorités (aussi bien à travers des échanges de bons services entre imams et préfets que par une répartition des tâches entre les différentes mafias immigrées et autochtones, malgré quelques premiers jeux sanglants liés à une concurrence inévitable), la question des besoins de main d’œuvre a été résolue par une corrélation plus étroite entre flux migratoires et marché du travail. Une des tendances lourdes au niveau européen semble en effet viser à une gestion au plus près, alignée en temps réel sur les besoins de l’exploitation. Cette forme qui lie strictement carte de séjour et contrat de travail pour les nouveaux arrivés vient s’ajouter à la forme classique de travail des migrants, le travail au noir, et viserait à terme à s’y substituer, dans le cadre d’une réorganisation des précarités salariées qui s’étend à tout le monde.

L’Etat a ainsi quasi tari la reconnaissance de l’asile politique, durci le regroupement familial ou l’acquisition de la citoyenneté par le mariage, supprimé les cartes de long séjour (celle de 10 ans en France), tandis qu’il étendait d’un autre côté sa main de fer sur les fichés volontaires déboutés des régularisations et s’orientait vers ce qu’un Président a défini comme une «immigration choisie». On en revient donc au temps où les sergents-recruteurs des patrons chargeaient directement par camions entiers des immigrés dans les villages en fonction de leurs besoins. La formule moderne veut simplement une rationalisation de ce recrutement aux frontières en cogestion entre les Etats et les employeurs (2), la main d’œuvre n’étant en rien destinée à rester et à s’installer. En même temps, les différents Etats construisent donc des camps aux frontières extérieures de l’Europe, pour ceux qui n’auront pas eu la bonne grâce d’être sélectionnés par les nouveaux négriers.

Car il y a tous les autres. Tous ceux qui se sont vu refuser le précieux sésame et ceux qui continuent d’arriver. Là se situe tout l’enjeu du changement d’échelle dans la rationalisation policière du système d’expulsion qui, pour ceux qui auront franchi le sas des zones d’attentes et le racket des passeurs et autres mafias, part des rafles, continue avec la multiplication des camps, et se termine par des déportations qui se veulent plus massives, quotas nationaux ou charters européens à la clé. Personne ne se fait pourtant d’illusions : tant que les causes économiques persisteront, et malgré tous les dispositifs du monde (comme on le voit à la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis où un mur de 1200 km est en construction) qui ne font que renchérir le passage et augmenter le nombre de morts, le nombre d’immigrés sans-papiers continuera d’augmenter. Ce ne serait qu’au prix d’une multiplication des déportations que l’Etat pourrait réellement appliquer ses lois en matière d’éloignement forcé du territoire. Mais là n’est pas la question, car ces dispositifs ont pour principal objectif non pas d’expulser tous les sans-papiers, mais de terroriser l’ensemble de la main d’œuvre immigrée (celle qui est régularisée et celle qui est sélectionnée pour des durées de séjour toujours plus courtes), afin de la maintenir dans des conditions d’exploitation proches de celles qu’elle a fuies (des délocalisations internes en quelque sorte) tout en faisant pression à la baisse sur l’ensemble des conditions d’exploitation. Le prétexte raciste servant quant à lui également à déployer un arsenal de contrôle social qui touche tout le monde.N’oublions pas non plus que quelque chose est en train de changer dans la nature même des migrations. Le capitalisme industriel déplaçait des forces de travail comme des pions sur un jeu. La logique était simple : ici on a trop de force de travail et là ils en ont besoin. S’il n’y avait pas trop de besoins, d’autres aspects de cette politique de gestion de population entraient en ligne de compte. Mais cette forme spécifique de migration s’est transformée avec les restructurations du système économique et les conséquences de la croissance industrielle. Ainsi, on commence à se rendre compte qu’il n’y a souvent plus de point de départ ni de destination. Les premiers sont dévastés par la famine, les guerres, les désastres tandis que les secondes changent continuellement. Les migrations deviennent alors plus un parcours interminable entre différents étapes ; et ne se limitent pas au passage d’un point A à un point B. Ces nouvelles formes de migration ne sont pas seulement déterminées par les besoins d’un capital toujours plus flexible et adaptable.Des millions de gens, déracinés par la dévastation des endroits où ils sont nés, errent sur cette planète, corvéables à merci. Et les dipositifs de gestion sont bien visibles : les camps humanitaires de réfugiés, les camps aux frontières, les bidonvilles et les favelas. Face à cette nouvelle donne, les luttes autour des régularisations semblent poser peu de questions…

L’exemple belge nous fournit une bonne illustration des impasses actuelles de la lutte pour des régularisations. Lorsque la tension montait en 1998 autour des centres fermés, l’Etat s’est fait à la fois lion et renard. En lion, il a déchaîné sa répression contre les secteurs les plus rebelles du mouvement (assassinat de Semira Adamu (3) qui se battait férocement à l’intérieur des centres, perquisitions et arrestations de camarades actifs dans cette lutte). En renard, il s’est engagé à négocier des régularisations avec l’autre partie du mouvement. Il est évident que réclamer des régularisations, à part que ça revient à réclamer l’intégration, requiert une certaine crédibilité, celle d’un interlocuteur reconnu. En peu de temps, c’est ainsi que ce mouvement a été torpillé. Les régularisations, qui étaient au départ une réponse de l’Etat à une tension et une agitation qui contestaient l’ensemble de sa politique en matière d’immigration (avec des slogans pour la fermeture de tous les camps ou la libre circulation), sont vite devenues le but à atteindre pour la plupart des groupes d’immigrés. Au lieu d’obliger l’Etat à concéder des régularisations par la lutte, les collectifs se sont engouffrés dans la brèche et ont entamé un dialogue suivi de négociations, attirant une armada de négociateurs professionnels et de charlatans juridiques censés résoudre les problèmes. Avec la répression d’un côté et le début d’un dialogue bureaucratique de l’autre, la dynamique était brisée, et ni les automutilations successives (comme les grèves de la faim hors des camps) ou les plus basses humiliations ne seront par la suite suffisantes pour arracher ce qui avait été à l’époque dans une certaine mesure une réponse de l’Etat à l’agitation, réponse suivie d’une rationalisation des centres fermés et d’une adaptation plus forte de l’octroi des permis de séjour aux besoins de l’économie (l’Etat leur a même attribué des couleurs différentes).

La situation actuelle, avec le cycle occupations/grèves de la faim/expulsions, nous a empêtrés ces dernières années dans des expériences de luttes qui offrent peu de possibilités de dépassement dans une perspective que nous pouvons partager : des expériences d’auto-organisation qui ne tolèrent ni politiciens ni leaders syndicaux ou religieux, d’actions directes qui permettent de créer un rapport de force réel et d’identifier l’ennemi de classe sous tous ses aspects. Ce constat nous met face au besoin et au désir de développer une projectualité subversive qui part sur nos bases plutôt que de rechercher le dépassement, qui semble toujours plus lointain, de luttes basées sur la revendication de régularisations. Cette projectualité pourrait trouver ses premiers points d’ancrage dans la révolte de fait partagée entre ceux qui luttent pour la destruction des centres et ceux qui, comme les rebelles de Vincennes et Steenokkerzeel, ont mis en acte la critique de l’enfermement et ont bouté le feu à leur prison.

Contre la machine à expulser

Face à ces difficultés surgit alors un débat qui court jusqu’à aujourd’hui, celui de la solidarité. Nombre de camarades défendent en effet la nécessité de notre présence à tout prix au sein des groupes d’immigrés, jusqu’à ce que couleuvre après couleuvre, ils finissent souvent par se retirer dégoûtés de toute lutte de ce type. Les justifications sont variées et sont souvent plus marquées par le confort des recettes sans imagination ou par l’activisme mouvementiste que par un réel désir de subversion. Là encore, si le caractère collectif d’une action n’est pas pour nous un critère, nous comprenons le besoin que peuvent ressentir certains compagnons de « rompre l’isolement ». Cependant, nous doutons que ceci passe par le fait de se retrouver dans des réunions interminables à une trentaine enfermés dans un squat ou un foyer avec des sans-papiers et des gauchistes. Nous serions plutôt enclins à développer un projet propre et nous retrouver alors sur nos bases.

Tant que la solidarité ne peut être comprise que comme rapport de soutien avec certaines catégories sociales, elle restera une illusion. Même si elle se dote de méthodes plus radicales, elle restera à la remorque d’un conflit dont ni les bases, ni les méthodes, ni les perspectives ne nous conviennent. La seule justification consiste alors à prétendre qu’en participant à ces conflits, on pourrait « radicaliser » les gens parce que leur condition sociale les amènerait à partager nos idées. Tant que ce concept de « radicalisation » sera interprété comme un travail de missionnaires qui essayent de faire avaler leurs idées aux autres, elle restera dans l’impasse qu’on voit partout gagner du terrain. La « radicalisation » peut cependant à l’inverse être comprise comme une ouverture envers d’autres, autour de notre propre dynamique, et donc en gardant l’autonomie de notre projectualité. Mais ceci exige que pour être « ensemble » dans une lutte et avancer tant au niveau des perspectives qu’au niveau des méthodes, il y ait déjà une affinité de base, une première rupture, un premier désir qui va au-delà des revendications habituelles. C’est ainsi que notre exigence de réciprocité peut prendre sens. Plutôt que de continuer un lien qui n’a d’autre raison d’être que de maintenir la fiction d’un sujet politique qui aurait, au nom de son statut de principale victime, le monopole de la raison et de donc de la lutte, il nous reste bien d’autres pistes à explorer.

Pour être plus clairs, on pourrait dire que la solidarité nécessite une reconnaissance réciproque dans les actes et/ou dans les idées. Il est en effet difficile d’être solidaire avec un sans-papier « en lutte » qui revendique sa régularisation et celle de sa famille sans être aucunement intéressé par une perspective de destruction des centres de rétention. Peut-être pourrait-on encore se retrouver de fait, mais ça serait alors sur une seule base pratique : nous n’avons pas besoin d’analyser les motifs et les perspectives qui poussent quelqu’un à se révolter pour nous reconnaître au moins en partie dans des gestes d’attaque qui s’en prennent directement aux responsables de cette misère. Il en va de même pour la plupart des luttes intermédiaires : l’intérêt de participer à un conflit dans une usine qui part sur des revendications salariales et ne déborde pas l’encadrement syndical ni ne développe le moindre germe d’action directe est très limité. Limité parce qu’il n’y a simplement pas de base sur laquelle se retrouver. Quand par contre ces mêmes ouvriers passent au sabotage (même s’ils le considèrent simplement comme un outil pour faire pression sur le patronat) ou mettent à la porte leurs délégués (même si c’est simplement parce qu’ils se sentent trahis), de nouvelles possibilités communes s’ouvrent…
Donc, au lieu d’en rester à des slogans de plus en plus vagues de « solidarité avec les immigrés / en lutte » (mais quelle lutte ?), nous pourrions développer une projectualité contre les centres de rétention avec les méthodes et les idées qui nous sont propres et qui est subversive dans le sens où elle remet en question les fondements de ce monde (l’exploitation et la domination). Cette projectualité serait alors autonome, et elle serait renforcée par et renforcerait à leur tour tous les gestes de révolte qui se démarquent vivement de la résignation généralisé. Encore une fois, s’il n’existe pas de recettes, il importe aujourd’hui de sortir des impasses d’un activisme plus ou moins humaniste qui voudrait mettre en sourdine toute autonomie radicale au profit d’une agitation qui ne ferait que suivre les échéances du pouvoir ou les logiques des seuls acteurs supposés légitimes des luttes, alors que c’est la liberté de tous qui est par exemple en jeu avec les rafles. Tout comme il importe aussi de proposer des perspectives qui, au-delà des objectifs partiels développés dans ces luttes intermédiaires, soient capables d’élargir la question en proposant un horizon qui remette enfin en question l’ensemble de ce monde et de ses horreurs, c’est-à-dire capables de poser à chaque fois la question de la domination et de l’exploitation. Les attaques diffuses seraient au cœur de cette projectualité, offrant non seulement l’avantage de dépasser l’impuissance ressentie face aux murs et aux barbelés des camps ou face à un dispositif policier qui sait s’adapter en matière de rafles et compter sur la passivité et la peur des passants, mais aussi et surtout l’intérêt de pouvoir à la fois développer notre propre temporalité, rendre vulnérables aux yeux de tous les dispositifs de la machine à expulser qui se trouvent à tous les coins de rue, et offrir des possibilités d’action réelles à tout un chacun, quel que soit le nombre.

Des internationalistes enthousiastes

Notes
1) Espagne : 405 000 en 2002, 578 000 sur 691 000 en 2005. Italie : 227 000 sur 250 000 en 1998 puis 634 000 sur 705 500 en 2002. Environ 500 000 en 2006 en Angleterre. France : 81 000 sur 143 000 en 1998 puis 23 000 en 2004 et 6 000 sur 21 000 en 2006.

(2) Les quotas nationaux liant strictement immigration et travail existent en Italie depuis 1998 et en Espagne depuis 2002, sachant que ces deux pays, grands demandeurs de main d’œuvre, ont aussi procédé à deux larges régularisations collectives ces dernières années. A titre d’exemple, l’Italie a fixé par décret la venue de 252 000 travailleurs étrangers pour 2007 : 4500 Albanais, Tunisiens, Marocains, 8000 Egyptiens, 6500 Moldaves, 3500 Sri Lankais, 5000 Philippins, 3000 Bangladais, 1500 Nigérians, 1000 Ghanéens, Algériens, Sénégalais, 500 sud-américains d’origine italienne plus 80 000 ressortissants de pays ayant des accords sur l’immigration et la coopération (pays de l’ex-Yougoslavie, Inde, Pakistan, Ukraine,…) ou tout immigré ayant eu un contrat de travail lors des trois années précédentes. Quant à l’Espagne, elle a fixé pour 2008 la venue de 40 000 travailleurs étrangers pour des contrats de 4 à 9 mois : 16 200 Marocains, 12 000 Roumains, 4000 Bulgares, 3500 Polonais, 3000 Ukrainiens, 750 Sénégalais, 270 Philippins. Arguant de pénuries ponctuelles, d’autres pays européens ont déjà utilisé de tels dispositifs, comme l’Angleterre et l’Allemagne (20 000 «cartes vertes» de 5 ans maximum en 2001 pour des spécialistes des technologies de l’information). Les autres pays comme la France procèdent à des autorisations de travail basées en flux tendu sur la demande des entreprises, comme l’a encore confirmé la dernière réforme du Ceseda (code de l’entrée, séjour des étrangers et demandeurs d’asile) de 2007 et ses circulaires. Cela n’empêche bien sûr pas en plus l’introduction de quotas selon les accords bilatéraux, comme 1000 titres de séjour dans 108 métiers pour des Sénégalais en 2008. Voir aussi le cas des bureaux de travail belges au Congo ou des agences d’intérim espagnoles en Amérique du Sud.

(3) Depuis des mois, des compagnons développaient depuis l’extérieur une solidarité avec Sémira qui n’a jamais cessé de se battre et d’encourager les autres à le faire. A la quatrième tentative de déportation, les policiers qui l’escortaient l’ont assassinée avec un coussin. (voir ci-après Beau comme des centres de rétention qui flambent)

[Article publié dans A Corps Perdu, revue internationale anarchiste, numéro 1, décembre 2008]

Aux Errants

« Nous avons demandé de la main d’oeuvre, nous avons eu des hommes. » Max Frisch

Personne n’émigre pour le plaisir — c’est une vérité très simple que beaucoup veulent cacher. Si une personne laisse de bon gré sa terre et les siens, on ne l’appelle pas un migrant mais un touriste ou un voyageur. La migration, c’est un déplacement forcé, c’est errer à la recherche de meilleures conditions de vie.

Il y a actuellement 150 millions d’étrangers dans le monde à cause de guerres, coups d’Etat, catastrophes écologiques, famines ou simplement le fonctionnement normal de la production industrielle (destruction des campagnes et des forêts, licenciements de masse, etc). Tous ces facteurs composent une mosaïque d’oppression et de misère dans laquelle les effets de l’exploitation deviennent eux-mêmes des causes de souffrance et de déracinement, dans une spirale infinie qui rend hypocrite toute distinction entre “évacués”, “migrants”, “exilés”, “demandeurs d’asile”, “réfugiés”, “survivants”. Pensons à quel point les soi-disantes urgences écologiques (pénurie en eau, désertification, stérilité des champs) sont sociales : l’explosion d’une raffinerie de pétrole, unie à la destruction de toute autonomie locale sur laquelle elle a été construite, peut parfois changer le sort d’une population entière.

Contrairement à ce que voudrait nous faire croire la propagande raciste, l’immigration implique seulement pour 17% le Nord riche et concerne tous les continents (en particulier l’Asie et l’Afrique) ; ce qui signifie que pour chaque pays pauvre il y en a un encore plus pauvre d’où fuient des migrants. La mobilisation totale imposée par l’économie et les Etats est un phénomène planétaire, une guerre civile non déclarée et sans frontière : des millions d’exploités errent dans l’enfer du paradis marchand, ballottés de frontières en frontières, enfermés dans des camps de réfugiés encerclés par la police et l’armée et gérés par les organisations dites de charité — complices dans les tragédies dont elles ne dénoncent pas les causes réelles dans le seul but de profiter des conséquences — entassés dans les “zones d’attentes” des aéroports ou dans les stades, enfermés dans des camps appelés “centri di permanenza temporanea”, et enfin emballés et expulsés dans l’indifférence la plus totale. À de nombreux égards, on peut dire que ces indésirables représentent notre réalité, et c’est aussi pour ça qu’ils nous effraient. L’immigré nous fait peur parce que nous voyons le reflet de notre misère dans la sienne, parce que dans son errance nous reconnaissons notre condition quotidienne : des individus de plus en plus étrangers dans ce monde et à eux-mêmes.

Le déracinement est la condition la plus répandue dans la société actuelle, et pour ainsi dire son “centre”, et non pas une menace venue d’un mystérieux et terrifiant Ailleurs. C’est seulement en regardant mieux notre vie quotidienne que nous pouvons comprendre en quoi la condition des immigrés nous concerne tous. Mais nous devons d’abord définir un concept central, le concept de clandestin.

La création du clandestin, la création de l’ennemi

« [...] Qu’êtes-vous ? [...] Vous n ’êtes pas du château, vous n’ êtes pas du village, vous n’êtes rien. Et pourtant, vous êtes quelque chose, malheureusement, vous êtes un étranger, un qui est toujours de trop et toujours entre nos jambes, un qui provoque beaucoup de soucis, [...] dont on ne sait pas les intentions. » F. Kafka

Le “clandestin” est tout simplement un immigré qui n’a pas de papiers en règle. Et, bien sûr, pas par plaisir du risque et de l’illégalité, mais parce que dans la plupart des cas, pour avoir ces papiers, il devrait fournir des garanties qui ne feraient pas de lui un migrant, mais un touriste ou un étudiant étranger. Si ces critères étaient appliqués à tous, on serait jetés à la mer par millions. Quel chômeur italien, par exemple, pourrait fournir la garantie d’un revenu légal ? Comment feraient tous les précaires d’ici qui travaillent par l’intermédiaire d’agences d’intérim, dont les contrats ne sont pas reconnus aux immigrés pour le permis de séjour ? Et y a-t-il tant d’italiens qui vivent dans un appartement de 60 mètres carrés avec deux autres personnes maximum ? Lisons-les, les différents décrets (de droite ou de gauche) sur l’immigration, on comprendra alors que la clandestinisation des immigrés est un projet précis des Etats. Pourquoi ?

A un étranger, on peut plus facilement faire du chantage, lui faire accepter, en le menaçant d’expulsion, des conditions de travail et d’existence plus odieuses (précarité, déplacements continus, logements de fortune, etc.). Et cette menace existe aussi pour ceux qui ont le permis de séjour, mais qui savent très bien à quel point il est facile de le perdre quand on n’est pas complaisant avec le patron ou les agents de police. Grâce à la menace des gendarmes, les patrons se procurent des salariés dociles, ou plutôt, de véritables travailleurs forcés.

Même les partis de la droite la plus réactionnaire et xénophobe savent très bien qu’une fermeture hermétique des frontières est non seulement techniquement impossible, mais aussi désavantageuse. Selon les Nations Unies, l’Italie devrait, pour maintenir l’actuel “équilibre entre population active et inactive”, “accueillir”, d’ici à 2025, un quota cinq fois supérieur à celui actuellement établi par an. En effet, la Confindustria suggère sans cesse de doubler le quota fixé jusqu’à maintenant.

La concession ou le refus de permis annuels et saisonniers détermine une hiérarchie sociale précise entre les pauvres. La distinction entre rapatriement forcé immédiat et expulsion (c’est à dire l’obligation, pour l’immigré irrégulier, de se présenter à la frontière pour être renvoyé à la maison) permet de choisir — sur la base de critères ethniques, des accords économico-politiques avec les gouvernements des pays d’où vient l’immigré et des besoins du marché du travail — ceux à clandestiniser et ceux à éloigner tout de suite. En effet, les autorités savent très bien que personne ne se présentera spontanément à la frontière pour se faire expulser ; certainement pas ceux qui ont dépensé tout ce qu’ils avaient — et parfois même plus — pour se payer le voyage. Les chefs d’entreprise définissent les caractéristiques des marchandises qu’ils achètent (l’immigré est une marchandise, comme nous tous d’ailleurs), l’Etat rassemble les données, la police exécute les ordres.

L’alarme donnée par les politiques et les mass media, les proclamations anti-immigration créent des Ennemis imaginaires, pour pousser les exploités d’ici à décharger sur un commode bouc émissaire les tensions sociales grandissantes et pour les rassurer, en leur faisant admirer le spectacle de pauvres encore plus précaires et victimes de chantage qu’eux ; et enfin, pour qu’ils se sentent membres d’un fantôme appelé Nation. En faisant de l’irrégularité — qu’ils créent eux-mêmes — un synonyme de délinquance et de danger, les Etats justifient un contrôle policier et une criminalisation des conflits de classe de plus en plus latents. C’est dans ce contexte qu’agit la manipulation du consensus après le 11 septembre, résumée dans l’ignoble slogan “clandestins=terroristes”, qui unit, si on le lit dans les deux sens, la paranoïa raciste à la demande de répression envers l’ennemi interne (1e rebelle, le subversif).

Ils hurlent, à gauche comme à droite, contre le racket qui organise le voyage des clandestins (décrit par les mass media comme une invasion, un fléau, l’arrivée d’une armée) alors que ce sont leurs lois qui le favorisent. Ils hurlent contre le “crime organisé” qui exploite énormément d’immigrés (fait exact mais partiel), alors que ce sont eux qui leur fournissent la matière première désespérée et prête à tout. Etat et mafia, dans leur symbiose historique sont unis par le même principe libéral : les affaires sont les affaires.

Le racisme, instrument d’exigences économiques et politiques, réussit à se répandre dans un contexte de massification et d’isolement généralisés, quand l’insécurité crée des peurs opportunément manipulables. Ça ne sert pas à grand chose de condamner moralement ou culturellement le racisme, car ce n’est pas une opinion ou un “argument”, mais une misère psychologique, une “peste émotionnelle”. C’est dans les conditions sociales actuelles qu’il faut chercher les explications de son expansion et, en même temps, les forces pour le combattre.

L’accueil d’un camp de concentration

Définir camps de concentration les Centri di Permanenza Temporanea pour immigrés en attente d’expulsion — centres introduits en italie en 1998 par le gouvernement de gauche avec la loi Turco-Napolitano — ce n’est pas de la réthorique, comme pensent au fond beaucoup de ceux qui utilisent cette expression. Il s’agit d’une définition stricte. Les camps nazis étaient des camps de concentration où étaient enfermes des individus que la police considérait, même en absence de conduite pénalement condamnable, dangereux pour la sécurité de l’Etat. Cette mesure préventive — définie “détention protectrice” — consistait à retirer tous les droits civils et politiques à certains citoyens. Qu’ils soient réfugiés, juifs, tziganes, homosexuels ou subversifs, il revenait à la police, après des mois ou des années, de décider de leur devenir. Les camps n’étaient donc pas des prisons où on purgeait une peine pour un délit, ni une extension du droit pénal. Il s’agissait de camps dans lesquels la norme établissait l’exception ; c’est à dire une exception légale à la légalité. Un camp ne dépend donc pas du nombre d’incarcérés ni de celui des assassins (entre 1935 et 1937, avant la déportation des juifs, il y avait 7500 incarcérés en Allemagne), mais de sa nature politique et juridique.

Les immigrés finissent aujourd’hui dans les centres, indépendamment d’éventuels délits, sans aucune procédure pénale : leur incarcération décidée par le questore, est une simple mesure de police. Exactement comme en 1940 sous le régime de Vichy, quand les préfets pouvaient faire enfermer les individus “dangereux pour la défense nationale et la sécurité publique” ou bien “les étrangers en surnombre par rapport à l’économie nationale”. On peut se rappeler la détention administrative en Algérie française, en Afrique du sud de l’apartheid ou les actuels ghettos pour palestiniens créés par l’Etat d’Israël.

Ce n’est pas un hasard si, au sujet des conditions infâmes des centres pour immigrés, les bons démocrates ne font pas appel au respect d’une quelconque loi, mais des droits humains — dernière chance pour des femmes et des hommes à qui il ne reste que l’appartenance à l’espèce humaine. On ne peut pas les intégrer en tant que citoyens, alors on fait semblant de les intégrer en tant qu’humains. L’égalité abstraite des principes masque partout les réelles inégalités.

Un nouveau déracinement

« Les immigrés qui débarquaient pour la première fois à Battery Park ne tardaient pas à se rendre compte que ce qu ’on leur avait raconté de la merveilleuse Amérique n’était pas du tout exact : la terre appartenait peut-être à tous, mais ceux qui étaient arrivés en premiers s’étaient amplement servis, et il ne leur restait plus qu’à s’entasser à dix dans les taudis sans fenêtre du Lower East Side et travailler quinze heures par jour. Les dindes ne tombaient pas déjà rôties dans les assiettes et les rues de New York n’étaient pas en or En fait bien souvent elle n’étaient pas pavées du tout. Et ils comprenaient alors que c’était justement pour les leur faire paver qu’on les avait fait venir. Et pour creuser des tunnels et des canaux, construire des rues, des ponts des grandes digues, des chemins de fer, défricher des forêts, exploiter des mines et des carrières, fabriquer des voitures et des cigares, des carabines et des vêtements, des chaussures, des chewing gums, du corned-beef et des savonnettes, et construire des gratte–ciels encore plus grands que ceux qu’ils avaient découverts en arrivant. » Georges Perec

Si on fait quelques pas en arrière, il s’avère évident que le déracinement est un moment essentiel du développement de la domination étatique et capitaliste. Au début de cette domination, la production industrielle a arraché les exploités des campagnes et des villages pour les concentrer dans les villes. L’ancien savoir-faire des paysans et des artisans a été ainsi remplacé par l’activité forcée et répétitive de l’usine — activité impossible à contrôler, dans ses instruments et sa finalité, par les nouveaux prolétaires. Les fils aînés de l’industrialisation ont donc perdu au même moment leurs anciens lieux de vie et leurs connaissances antiques, celles qui leur permettaient de se procurer de manière autonome une bonne part de leurs moyens de subsistance. De plus, en imposant à des millions de femmes et d’hommes les mêmes conditions de vie (mêmes lieux, mêmes problèmes, même savoir), le capitalisme en a unifié les luttes, leur a fait retrouver des nouveaux frères pour combattre contre cette vie insupportable. Le vingtième siècle a marqué l’apogée de cette concentration productive étatique — dont les emblèmes étaient l’usine-quartier et les camps de concentration — et aussi l’apogée des luttes sociales les plus radicales pour sa démolition.

Lors des vingt dernières années, grâce aux innovations technologiques, le capital a remplacé la vieille usine par des nouveaux centres de production de plus en plus petits et délocalisés sur le territoire, désagrégeant aussi le tissu social à l’intérieur duquel ces luttes avaient grandi, et en déterminant ainsi un nouveau déracinement.

Ce n’est pas tout. La restructuration technologique a accéléré et facilité les échanges, en ouvrant le monde entier à la concurrence la plus féroce, en ruinant les économies et les modes de vie de pays entiers. En Afrique, en Asie, en Amérique Latine, la fermeture de nombreuses usines, les licenciements de masse, dans un contexte social détruit par le colonialisme, de la déportation des habitants des villages aux bidonvilles, des champs aux chaînes de montage, ont produit une foule de pauvres devenus inutiles à leurs patrons, des enfants indésirés du capitalisme. Si on ajoute la chute des pays soi-disant communistes et le racket des dettes organisé par le Fond Monétaire International et la Banque Mondiale, on obtient une carte assez précise des migrations, des guerres ethniques et religieuses. Ce qu’on appelle aujourd’hui “flexibilité” et “précarité” est la conséquence de tout cela : un autre progrès dans la soumission aux machines, une augmentation de la compétition, une aggravation des conditions matérielles (contrats, santé, etc.). Nous en connaissons déjà la raison : le capitalisme a démantelé les “communautés” qu’il avait lui-même créées. Il serait de toute façon partiel de concevoir la précarité seulement au sens économique, c’est à dire absence d’un travail fixe et fierté du propre métier. Celle-ci est un isolement dans la massification, c’est à dire un conformisme fanatique sans espaces communs. Dans l’angoissant vide de sens et de prospectives, le besoin insatisfait de communauté revient, mystifié, sous forme de vieilles oppositions nationalistes, ethniques ou religieuses, une tragique reproposition d’identité collective là où s’est évanouie toute réciprocité réelle entre les individus. Et c’est justement dans ce vide que s’installe le discours intégriste, fausse promesse d’une communauté qui s’est rachetée.

Guerre civile

Tout ceci nous amène de plus en plus vers un scénario de guerre civile permanente, sans faire de distinctions entre “temps de paix” et “temps de guerre”. Le conflit n’est plus déclaré — comme l’a démontré l’intervention militaire dans les Balkans — mais simplement géré en garantissant le maintien de l’Ordre Mondial. Ce conflit sans trêve touche toute la société et les individus eux-mêmes. Les espaces communs de dialogue et de lutte sont remplacés par l’adhésion aux modèles marchands : les pauvres se font la guerre pour le sweat ou la casquette à la mode. Les individus se sentent de plus en plus insignifiants, et donc prêts à se sacrifier pour le premier leader nationaliste ou pour un bout de drapeau. Maltraités chaque jour par l’Etat, les voici à défendre avec zèle une quelconque Padania (désolée et polluée, avec des usines et des centres commerciaux partout — est-ce donc ça l’enviable “terre des ancêtres” ?). Attachés à ce mirage de propriété qui leur reste, ils ont peur de se montrer tels qu’ils sont : des engrenages interchangeables d’une Mégamachine, qui ont besoin de psycholeptiques pour tenir jusqu’au soir, de plus en plus envieux envers quiconque ayant seulement un peu l’air plus heureux qu’eux. A une rationalité de plus en plus froide, abstraite et calculatrice, correspond des pulsions de plus en plus brutales et inavouées. Alors, quoi de mieux qu’une personne différente de peau ou de religion pour décharger sa rancoeur ? Comme disait un mozambicain, les “gens ont pris la guerre à l’intérieur d’eux”. Certaines conditions externes suffisent pour faire tout exploser comme en Bosnie. Et ces conditions, on nous les sert avec soin. A l’universalisme capitaliste s’oppose, dans un tragique jeu de miroirs, le particularisme ethnique. Sous l’ordre institutionnel, avec ses espaces de plus en plus anonymes et surveillés, se prépare l’implosion des rapports humains. On dirait les mêmes sables mouvants d’où a surgit, dans les années trente, l’homme totalitaire.

Deux issues possibles

Pourquoi avons nous jusqu’ici parlé d’immigration et de racisme, étant donné que nous ne sommes pas directement concernés par le problème de l’errance et de l’expulsion ? Le capitalisme rapproche de plus en plus nos vies à la précarité et à l’impossibilité de décider de notre présent et de notre futur ; c’est pour cela que nous nous sentons frères, dans les faits, des exploités qui débarquent sur les côtes de ce pays.

Face au sentiment de dépouillement que des millions d’individus éprouvent envers un impérialisme marchand qui les oblige tous à rêver le même rêve sans vie, aucun appel au dialogue et à l’intégration démocratique n’est possible. Quoiqu’en disent les antiracistes démocratiques, il est trop tard pour les leçons d’éducation civique. Quand ils poussent partout — des bidonvilles de Caracas aux banlieues de Paris, des territoires palestiniens aux centres et stades où sont enfermés les clandestins — les camps où on assigne la misère ; quand l’état d’exception — c’est à dire la suspension juridique de tout droit — devient la norme ; quand on laisse littéralement pourrir des millions d’êtres humains dans les réserves du paradis capitaliste ; quand on militarise et blinde des quartiers entiers (Gênes, ça vous dit quelque chose ?), parler d’intégration est une énorme plaisanterie. A ces conditions de désespoir et de peur, à cette guerre civile planétaire, il n’y a que deux issues possibles : l’affrontement fratricide (religieux et de clan dans toutes ses variantes possibles), ou la tempête sociale de la guerre de classe.
Le racisme est la tombe de toutes les luttes des exploités contre les exploiteurs, c’est la dernière carte — la plus sale — jouée par ceux qui voudraient nous voir nous massacrer entre nous. Il peut seulement disparaître dans les moments de lutte commune, quand on reconnaît nos ennemis réels — les exploiteurs et leurs sous-fifres — et on se reconnaît en tant qu’exploités qui ne veulent plus l’être. Le conflit social des années soixante et soixante-dix en Italie — quand les jeunes ouvriers immigrés du sud rencontrèrent ceux du nord sur le terrain du sabotage, de la grève sauvage et de la totale déloyauté envers le patron — l’a prouvé. La disparition après les années soixante-dix des luttes révolutionnaires (du Nicaragua à l’Italie, du Portugal à l’Allemagne, de la Pologne à l’Iran) a affaibli la base d’une solidarité concrète entre les expropriés de la Terre. On pourra seulement reconquérir cette solidarité dans la révolte et non pas dans les discours impuissants des nouveaux tiersmondistes et des antiracistes démocratiques.

Donc, ou le massacre de clan et de religion, ou la guerre de classe. Et c’est seulement au fond de celle-ci que nous pouvons entrevoir un monde libre de l’Etat et de l’argent, dans lequel nous n’aurons besoin d’aucun permis pour vivre et voyager.

Une machine qu’on peut briser

Dans les années quatre-vingt, il y avait un slogan qui disait : “Aujourd’hui ce n’est pas tellement le bruit des bottes dont on doit avoir peur mais du silence des pantoufles”. Maintenant, elles sont toutes de retour. Avec un langage de guerre sainte (les forces de l’ordre, l’“armée du bien” qui protège les citoyens des immigrés, l’“armée du mal”, comme l’a affirmé récemment le président du Conseil), l’Etat organise quotidiennement des rafles d’immigrés. Leurs maisons sont dévastées, les clandestins sont ramassés dans la rue et déportés, enfermés dans les camps et expulsés dans l’indifférence la plus totale. Dans de nombreuses villes, des nouveaux centres de détention sont déjà en construction. La loi Bossi-Fini, continuation digne de Turco-Napolitano, veut limiter les permis de séjour selon la durée exacte du contrat de travail, ficher tous les immigrés, transformer la clandestinité en délit et renforcer la machine des expulsions.
Le mécanisme démocratique de la citoyenneté et des droits, bien qu’élargis, présupposera toujours l’existence d’exclus. Critiquer et essayer d’empêcher les expulsions des immigrés signifie critiquer en acte à la fois le racisme et le nationalisme ; cela signifie chercher un espace commun de révolte contre le déracinement capitaliste qui nous touche tous ; cela signifie entraver un mécanisme répressif tant important qu’odieux ; cela signifie briser le silence et l’indifférence des civilisés qui restent là à regarder ; cela signifie, enfin, discuter le concept même de loi, au nom du principe “nous sommes tous clandestins”. Bref, il s’agit d’une attaque à un des piliers de la société étatique et de classe : la compétition entre les pauvres, le remplacement, aujourd’hui de plus en plus menaçant, de la guerre sociale par la guerre ethnique ou religieuse.

Pour fonctionner, la machine des expulsions a besoin de la participation de nombreuses structures publiques et privées (de la croix rouge qui cogère les camps aux entreprises qui fournissent des services, des compagnies aériennes qui déportent les clandestins aux aéroports qui organisent les zones d’attente, en passant par les associations dites de charité qui collaborent avec la police). Toutes ces responsabilités sont bien visibles et attaquables. Des actions contre les centres de détention (comme s’est arrivé il y a quelques années en Belgique et il y a quelques mois en Australie, où les manifestations se sont terminées par la libération de quelques clandestins), à celle contre les “zones d’attente” (comme en France, contre la chaîne d’hôtel Ibis, qui fournit des chambres à la police) ou pour empêcher les vols de l’infamie (à Francfort, un sabotage des câbles à fibres optiques avait mis hors d’usage, il y a quelques années, tous les ordinateurs d’un aéroport pendant quelques jours), il y a beaucoup d’actions qu’un mouvement contre les expulsions peut réaliser.

Aujourd’hui plus que jamais, c’est dans les rues que se reconstruit la solidarité de classe. Dans la complicité contre les rafles de la police ; dans la lutte contre l’occupation militaire des quartiers ; dans le refus obstiné de toute division que les patrons voudraient nous imposer (italiens et étrangers, immigrés réguliers et clandestins) ; en ayant conscience que tout outrage subi par chaque exproprié de la Terre est un outrage à tous — c’est seulement ainsi que les exploités de mille pays pourront enfin se reconnaître.

[Agli Erranti, Texte traduit de l’italien et publié dans Cette Semaine #85, août/septembre 2002, pp. 5-7]